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Le growth equity fait bouger les lignes du financement d’entreprise

À mi-chemin entre le venture et le LBO, le growth equity prend de plus en plus d’importance dans le paysage français. Plus qu’un nouveau mode de financement, il s’agit d’une pratique qui répond aux besoins des entreprises de croissance, pour lesquelles une approche globale est de rigueur. Décryptage. Entretien avec Hélène Parent et Matthieu Grollemund, associés du cabinet Hogan Lovells.


En quoi le growth equity est-il en train de changer la donne en France ?


Matthieu Grollemund : La tendance que l’on a connue initialement aux Etats-Unis se déploie petit à petit dans l’Hexagone, avec une accélération marquée au cours de l’année 2020. Cela correspond à un double phénomène : d’un côté, les deux sphères d’investissement que sont le venture capital et le LBO, historiquement disjointes, se sont rapprochées, avec des acteurs du buy-out élargissant leur périmètre d’intervention et des figures du capital-risque désireuses d’aller vers le late stage ; de l’autre côté, se multiplient les sociétés de croissance construites sur des modèles économiques inédits et souhaitant profiter de la période actuelle, riche en bouleversements technologiques, pour se déployer à un rythme très soutenu. C’est la rencontre de ces deux tendances de fond qui a permis le développement de Tesla, AirBNB, Deliveroo ou encore Uber, outre-Atlantique, mais aussi de fleurons français comme Doctolib, ManoMano, Mirakl, Ÿnsect ou plus récemment Lydia — pour ne citer qu’eux.


Hélène Parent : Le growth equity se traduit ainsi par des tours de table de grande ampleur, car les fonds s’affichent comme étant résolument prêts à valoriser les business models porteurs et les technologies disruptives. Il n’est pas rare, désormais, de voir des financements de série B d’une cinquantaine de millions d’euros, pour des entreprises valorisées quelque 300 millions.


Quelles sont les perspectives de rendement pour ces investissements ?


M.G. : Elles sont supérieures à ce à quoi peuvent prétendre les fonds de LBO, car ces investissements ne sont pas dirigés vers des sociétés à risque, mais bien vers celles qui disposent déjà de quelques dizaines de millions d’euros de revenus récurrents. En tirant à grands traits, on pourrait dire que la seule catastrophe possible provient du risque de solvabilité : chaque créancier est quasi sûr de récupérer sa mise au moment d’une cession ou d’une introduction en Bourse, grâce au mécanisme de waterfall.


Le fait que les fonds de LBO s’intéressent aux nouvelles technologies n’est pas particulièrement nouveau…


M.G. : C’est exact. Par le passé, certains fonds de LBO « classiques » avaient structuré des départements TMT — lesquels s’étaient peu à peu concentrés exclusivement sur la tech — et sciences de la vie. Et d’une certaine manière, le growth equity s’inscrit dans le prolongement logique de cette approche puisque les fonds se sont assez vite montrés intéressés par les sociétés SaaS, côté technologie, et par les maisons de soins et d’hébergement ainsi que celles développant des dispositifs médicaux, dans la santé. La différence, actuellement, c’est que les investisseurs cherchent spécifiquement à entrer plus tôt dans les deals, en identifiant les angles de croissance qui feront de leurs participations de futurs champions. Qui plus est, en misant sur des entreprises qui prennent le parti d’utiliser leurs ressources pour financer en priorité leur développement, plutôt que d’opter pour un schéma incluant des tranches de dette.


H.P. : A cela s’ajoute le fait que sont apparus des domaines d’investissement particulièrement disruptifs, comme les cleantechs ou tout ce qui a trait au déploiement de l’hydrogène, par exemple. On a vu de par le monde des fonds souverains ainsi que des corporates s’y intéresser, constituant petit à petit un environnement de financement assez hétérogène, plus standardisé que dans le LBO, mais aussi moins local que ce segment ne peut l’être.


Quels sont les mécanismes utilisés dans ces financements ?


H.P. : On retrouve en growth equity les problématiques classiques d’actionnaires majoritaires versus actionnaires minoritaires. À cela s’ajoute le fait que l’on utilise beaucoup la technique du tranchage de l’equity (tranches A, B…) et que l’on peut structurer également des obligations convertibles, qui s’assimilent à de la dette mezzanine. En outre, ces financements incluent des management packages, avec une subtilité par rapport au schéma du LBO : ici, les mécanismes d’incentive sont placés en direct plutôt que sous une « manco », du fait de la disponibilité des BSPCE. Enfin, au-delà des instruments de financement eux-mêmes, il est nécessaire de s’intéresser de très près aux règles de gouvernance, un peu à la façon dont cela se gère dans le buy-out, au bémol près que l’équilibre des forces est un petit peu différent car ne concernant pas un groupe constitué de peu d’actionnaires majoritaires et quelques minoritaires…


M.G. : En règle générale, le niveau de sophistication de ces opérations est assez élevé car les équipes qui animent le growth equity viennent souvent du monde du LBO. Elles adoptent des codes qui s’y apparentent, avec un certain degré d’exigence quant à la conduite des due diligences ou encore sur la maîtrise des réglementations en vigueur. Qui plus est, au vu de l’ampleur des tickets investis, elles attendent la même rigueur que celle déployée désormais dans le buy-out. Il est donc rare de retrouver des pactes avec des clauses « hors marché », comme cela peut être parfois le cas dans le venture – en conséquence du rapport de force entre investisseurs et dirigeants.


Le degré de compétence est donc plus élevé pour intervenir sur ces dossiers ?


M.G. : Exactement. Pour les structurer, il faut faire la preuve d’une compétence technique et industrielle, en particulier parce que le risque juridique principal qu’il convient de maîtriser pour les entreprises ciblées par le growth equity est le risque réglementaire. Que cela touche par exemple à la réglementation financière, pour tout ce qui est insurtech et finance, ou à la règlementation sanitaire, pour tout segment en lien avec l’agroalimentaire. Étant donné la très forte sectorialisation de ces opérations, il revient très souvent aux avocats de veiller à ce que les sujets réglementaires soient correctement adressés.


Qu’en est-il des équipes françaises actives sur ce segment ?


M.G. : En toute logique, elles s’y intéressent de plus en plus. Outre Eurazeo et Ardian, qui ont investi le domaine assez tôt, on retrouve d’autres intervenants comme Cathay Capital Private Equity ou encore InfraVia Capital Partners. Même si beaucoup d’équipes sont américaines ou interviennent depuis Londres — à l’instar de General Atlantic ou Vitruvian —, la place parisienne fait peu à peu ses preuves dans le domaine.


H.P. : Fin 2020, Bpifrance a aussi notamment accompagné Sendinblue via son fonds Large Venture, aux côtés de Bridgepoint et de Partech. Mais il faut noter que, outre les grands acteurs du private equity, les plus petits intervenants s’immiscent dans cette tendance de marché, au moment de la syndication des tickets. Signe, s’il en fallait encore un autre, de tout le potentiel que représentent les opérations de growth equity aux yeux des capital-investisseurs…


Propos recueillis par Charles Ansabère

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