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LBO : Quelle place pour le management dans les négociations ?

Récemment reprise par PAI Partners et Kirkbi A/S, la société Armacell vient d’entrer dans son cinquième LBO, le troisième depuis l’entrée en fonction de son président-directeur général actuel. Si la situation varie en fonction de certains facteurs, comme le track record des dirigeants et leur poids au capital, ce type d’opérations implique un réel engagement du management dans le processus. Entretien avec Patrick Mathieu, président-directeur général, Armacell, et Isabelle Cheradame, avocat associé, Scotto Partners.


Entreprise internationale spécialisée dans les matériaux d’isolation thermique, Armacell (650 millions d’euros de chiffre d’affaires) vient d’être acquise par PAI Partners et Kirkbi A/S dans le cadre de son cinquième LBO, le troisième depuis que vous avez pris la direction générale du groupe en 2012. Quelle est la clé d’un LBO réussi ?


Patrick Mathieu : Un LBO réussi, c’est à la fois une entrée réussie et une sortie réussie. Or pour réussir la sortie, il est impératif de la préparer dès l’entrée. Au-delà des aspects liés au business plan, il convient par exemple d’envisager tout une série de scénarii qui pourraient, pendant la durée de vie du LBO, venir compliquer cette sortie (réalisation d’une augmentation de capital…), de manière à fixer des règles bien précises avec le fonds actionnaire. À ce titre, la présence de conseils au côté du dirigeant et des managers actionnaires est essentielle.


Isabelle Cheradame : L’un des principaux risques auquel est confronté un dirigeant, en particulier dans le cas d’un LBO primaire, est de sous-estimer la lourdeur du processus allant du projet de vente de l’entreprise à la finalisation de son rachat par un fonds. Il s’agit le plus souvent pour lui d’une période de sa vie où il dort peu, devant concilier à la fois le pilotage opérationnel de l’entreprise et la conduite de ce processus. S’il n’y est pas préparé, alors la situation peut être complexe à gérer.


À quoi le dirigeant doit-il justement s’attendre ?


P. M. : Schématiquement, le processus se décompose en trois phases, très différentes les unes des autres. La première consiste à se mettre d’accord avec l’actionnaire existant sur l’« equity story » qu’il conviendra de raconter aux acquéreurs potentiels. À ce moment, les intérêts du fonds vendeur et ceux du dirigeant (CEO) sont plus ou moins alignés. Vient ensuite le moment où il faut opérer une sélection parmi les fonds intéressés. Là, les intérêts entre le CEO et son actionnaire actuel divergent. Tandis que ce dernier cherche à maximiser son retour sur investissement en cédant ses parts au prix maximum, le premier, qui restera en poste, se trouve dans une position délicate : certes, il a une obligation de loyauté envers son actionnaire majoritaire, mais il doit dans le même temps veiller à ce que la valorisation retenue soit justifiée. Sans quoi, l’entreprise va se voir lestée d’une dette trop élevée, fragilisant de facto le business model. Une fois le futur actionnaire retenu s’ouvre, enfin, la phase finale des négociations.


Au cours de ces différentes phases, le CEO a-t-il voix au chapitre ?


I. C. : Tout dépend du poids du management au capital et/ou de sa capacité à avoir démontré qu’il était un atout dans la réussite de la transaction à l’aune de ses bonnes performances passées. Dans le cadre d’un processus de vente, les top managers représentent, il est vrai, les meilleurs « VRP » qu’il soit. Dans cette configuration, le vendeur sera incité à privilégier un processus de vente concerté.


P. M. : En raison de l’obligation de loyauté vis-à-vis de l’actionnaire majoritaire précédemment évoquée, un dirigeant peut difficilement intervenir au début du processus. C’est essentiellement dans la dernière ligne qu’il peut exprimer ses préférences et avancer ses arguments.


Dans le cas où le vendeur reçoit plusieurs offres fermes, existe-t-il des indices permettant de retenir, de manière objective, le fonds idoine ?


P. M. : Au cours des trois processus de vente que j’ai connus chez Armacell, une quinzaine de fonds ont généralement témoigné, à chaque fois, des marques d’intérêt. Lorsque des offres fermes parviennent au vendeur, il est, d’expérience, très compliqué de les comparer les unes des autres. Il est également difficile de se dire que tel fonds est le mieux à même de nous accompagner dans le cadre du prochain LBO. Au cours des dernières années, de nombreux transferts ont été observés au sein des équipes employées par les fonds de private equity. En conséquence, qu’il s’agisse d’une société de gestion européenne ou anglo-saxonne, les comportements sont dorénavant très largement les mêmes.


I. C. : S’il pouvait y avoir dans le passé des divergences d’approche entre des fonds américains et européens, c’est en effet moins souvent le cas, mais il y a encore des différences de « culture d’entreprise » selon les fonds. L’un des critères différenciants porte aujourd’hui davantage sur la taille du fonds : plus celui-ci est gros, et plus il aura tendance, sous la pression notamment de ses Limited Partners (LP’s), c’est-à-dire de ses propres investisseurs, à mettre en place davantage de garde-fous, ce dont peut in fine tirer profit le dirigeant d’entreprise sous LBO.


P. M. : En effet, les LP’s ont dorénavant tendance à réaliser des due diligences plus approfondies, ce qui les amène notamment à demander des références sur la gestion passée et actuelle par les fonds de grande taille de leurs participations. En conséquence, plus le fonds est important, et plus il est sensible à sa réputation, ce qui est de nature à augurer – sous garantie toutefois – pour le dirigeant une cohabitation plus sereine.


À quel autre critère un dirigeant pourrait-il se fier ?


P. M. : Pour ma part, j’accorde une attention renforcée à l’investissement en temps consacré par chaque candidat lors d’un processus du rachat. Certains fonds cherchent à comprendre de manière extrêmement fine le business de l’entreprise. D’autres, en revanche, se contentent de déléguer cette analyse à leurs prestataires. La mise en œuvre de ce second procédé doit, pour le dirigeant, faire figure de signal d’alerte. Tous les fonds ne travaillent pas de la même manière, et les différences apparaissent rapidement.


I. C. : En ce qui me concerne, je trouve qu’il est primordial de rédiger un term sheet durant cette phase : cela permet de mieux clarifier la position et la philosophie d’un fond. Ce document étant contractuel, il permet également de valider que les assurances données à l’oral seront bien tenues post closing et éviter ainsi toutes incompréhensions ou déceptions.


Entre la mise en vente du groupe et son rachat par un fonds de private equity, plusieurs mois sont nécessaires. La gestion de ce processus chronophage ne risque-t-elle toutefois pas de se faire au détriment du pilotage opérationnel de l’entreprise ?


P. M. : Le délai entre la mise en vente et la prise de contrôle par le nouvel actionnaire majoritaire est généralement assez long, de l’ordre de plusieurs mois. Si le management dans son ensemble participe à chaque étape de ce processus, il y a en effet un risque important à ce que la gestion de l’opérationnel soit en partie délaissée et que les résultats commencent à en pâtir. Un tel scénario serait très problématique s’il aboutissait, dès la première année du LBO, à une sous-performance par rapport aux hypothèses arrêtées dans le business plan : cette situation pourrait fragiliser l’entreprise et ses salariés. Afin d’éviter cet écueil, seuls mon directeur administratif et financier et moi-même sommes impliqués sur l’opération de bout en bout, de manière à ce que les autres managers puissent se focaliser le plus longtemps possible uniquement sur l’opérationnel.


En matière d’implication du management au capital du groupe, quelle est votre position ?


P. M. : Dans ce domaine, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, en particulier la taille et la culture de l’entreprise. Armacell compte une trentaine de managers actionnaires. Je ne suis pas partisan de cette tendance, très française il me semble, à impliquer le plus grand nombre de collaborateurs. Plus celui-ci est élevé et plus l’investissement de chacun est limité. Dans ces conditions, les managers ne peuvent escompter au mieux qu’un retour modeste, ce qui, sur la durée, peut peser sur leur motivation à atteindre, voire dépasser, les objectifs fixés. De plus, je trouve peu pertinent d’avoir une abondance de collaborateurs au capital mais qui, compte tenu de leur poids individuel très restreint, se retrouvent à jouer un rôle totalement passif dans la gouvernance. Enfin, pendant la durée de vie d’un LBO, il y a toujours parmi les managers actionnaires des entrants et de sortants. Comme ces situations ne sont jamais simples à gérer, il m’apparaît préférable de réduire la probabilité d’y être confronté en optant pour un actionnariat interne le plus resserré possible. À ce titre, j’ai toujours cherché chez Armacell à associer les personnes dont les responsabilités font qu’elles ont un véritable impact sur l’évolution du compte de résultat.


I. C. : Outre la taille et la culture d’entreprise, cela tient aussi au secteur d’activité, et à l’environnement sociétal : en France, je pense qu’il est attendu que la création de valeur soit partagée avec un nombre plus élevé de personnes. Cela dépend aussi de l’appétence des managers à investir leurs deniers personnels, qui diffère fortement selon les pays. Il est en effet intéressant de constater que nous voyons souvent des groupes d’une cinquantaine, voire une centaine, de managers investisseurs en France, là où ils sont à peine une dizaine ou une vingtaine dans d’autres pays. Les conséquences précédemment évoquées par Patrick sont importantes et nous discutons en amont des avantages et inconvénients afin de permettre au CEO de prendre une décision pertinente pour son organisation.


Entre les managers qui ne connaissent pas forcément tous les tenants et aboutissants d’un LBO, ceux qui disposent de peu d’épargne à investir et les autres, comment le dirigeant doit-il agir pour les convaincre ?


I. C. : Avant toute chose, il est important de rappeler que, sur le plan légal, un dirigeant ne peut absolument pas faire du démarchage pour inciter certains de ses salariés à devenir actionnaire. Dans ce contexte, il est compliqué, voire dangereux, pour le CEO de leur exposer le potentiel de gain (parfois d’ailleurs très significatif) et donc l’opportunité patrimoniale d’un tel investissement. Et se contenter d’évoquer les risques de pertes, enjeux fiscaux, etc. n’est pas motivant ni rassurant.


P. M. : Afin d’exposer les intérêts à investir mais aussi les risques divers inhérents à une telle opération, j’ai justement pour habitude, dans un souci d’objectivité, de recourir aux services de conseils juridiques et financiers. À l’issue de cette phase de présentation, l’approche ne sera pas la même selon que le manager se révèle être un primo-investisseur ou un actionnaire existant. Dans le cas d’un investissement inaugural, nous avons souhaité chez Armacell que la somme à mobiliser n’excède pas trois mois de salaire. Pour les managers qui réinvestissent, il est généralement convenu qu’ils allouent la moitié du gain net après impôt issu du précédent LBO. Cela leur permet à la fois de démontrer qu’ils sont prêts à s’engager pleinement dans la prochaine étape de développement de la société et d’espérer pouvoir percevoir un intéressement appréciable en cas d’atteinte des hypothèses du business plan.


I. C. : S’agissant justement du management package, il est important de le construire de manière à ce qu’il donne confiance aux collaborateurs. Dans la mesure où ceux-ci investissent une partie de leur argent personnel, ils doivent être convaincus que le gain peut être à leur portée, mais il doit aussi répondre aux exigences d’un sponsor : il ne s’agit pas en effet de garantir un gain aux managers, ce qui poserait par ailleurs un problème fiscal. Tout l’art est de trouver le juste équilibre.


Par Sébastien Gressier

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