Quelle est l’histoire de Rydoo ?
Sébastien Marchon : À la fin de l’année 2015, le groupe Sodexo, leader mondial des services de qualité de vie (restauration collective, titres-restaurants, services à la personne) a pris la décision de se lancer dans la mobilité. Fort d’une longue expérience professionnelle dans le secteur des voyages d’affaires et gestion des frais professionnels, il m’a fait confiance pour lancer cette nouvelle activité sur ce marché dynamique et en croissance constante. À cette époque, les acteurs de cette industrie étaient nombreux mais aucun ne couvrait l’intégralité de la chaîne de valeur. En outre le taux d’équipement des PME était faible et l’expérience utilisateur très pauvre. Notre stratégie était simple : cibler les PME et proposer un outil couvrant l’intégralité de leurs besoins, centré sur l’expérience utilisateur. Afin d’exécuter cette stratégie nous avons acquis deux sociétés, iAlbatros et Xpenditure, que nous avons fusionnées pour former Rydoo en 2017. L’entreprise propose aujourd’hui deux solutions : une de réservation de voyages d’affaires, et une de gestion des remboursements de frais professionnels. Le succès a été assez fulgurant et nous avons rapidement atteint un million d’utilisateurs et 10 000 sociétés clientes.
Le Covid a bien sûr ralenti notre croissance et nous a poussé à revoir nos priorités. Mais la crise a aussi accéléré la digitalisation des processus en entreprise, notamment ceux liés à la gestion des frais professionnels, et généré de nouveaux besoins liés au télétravail (plus d’employés ont eu des frais à se faire rembourser). Nous avons donc continué d’acquérir de nouveaux comptes ces derniers 18 mois. Aujourd’hui, l’activité est repartie de plus belle, et sur les voyages d’affaires et sur les frais professionnels.
En octobre 2020, Sodexo a souhaité se recentrer sur son activité core business et m’a mandaté pour identifier un ou plusieurs nouveaux investisseurs. Le groupe a reçu de multiples marques d’intérêts, d’acteurs du private equity et d’industriels. Marlin Equity Partners a finalement pris le contrôle de Rydoo en septembre 2021, via une opération de LBO.
Les opérations de carve-out et donc de LBO primaire sont en accélération depuis ces derniers mois. Doit-on y voir une conséquence de la crise ?
Isabelle Cheradame : Il y a toujours eu des carve-out, mais il est vrai que la crise a accéléré ce type d’opérations, les groupes cherchant à se recentrer sur leurs activités core business pour rationaliser leur trésorerie. Sans surprise, les fonds d’investissement se positionnent sur ces opportunités d’acquisition pour structurer des LBO primaires. Et forts de liquidités abondantes, ils sont des compétiteurs redoutables face à des corporates plus traditionnels.
Pourquoi l’offre de Marlin Equity Partners a-t-elle été préférée aux autres ?
Sébastien Marchon : D’abord parce que Marlin Equity Partners est un fonds américain de croissance. Il a pour vocation d’accompagner l’entreprise dans son expansion, et même de l’accélérer. Ensuite, parce que c’est un fond qui gère 7,5 Mds$ d’actifs majoritairement dans des sociétés de techno et dans le SAAS : les équipes ont une expérience et une expertise remarquables sur lesquelles nous allons pouvoir nous appuyer. Enfin, et je crois que c’était le facteur déterminant, j’ai constaté que les équipes de Marlin étaient très en phase avec notre vision, notre ambition et notre stratégie de croissance. L’entente a tout de suite été parfaite, notamment avec Jérémy Nakache, responsable du bureau parisien de Marlin qui réalise avec Rydoo son quatrième investissement en France. C’était essentiel pour moi.
Isabelle Cheradame : Un LBO primaire constitue une opportunité intéressante pour une société car l’opération lui permet d’accélérer son développement, tant par croissance organique qu’externe. Les fonds d’investissement sont de plus en plus spécialisés et apportent des compétences et ressources très utiles à l’entreprise. Le management doit veiller à être en phase avec l’investisseur sur la stratégie qu’ils souhaitent mener ensemble. Bien sûr le fit entre les équipes est indispensable, mais il est important que le management soit assisté par un conseil juridique rompu à ce type d’opérations, afin que les échanges des débuts se matérialisent et soient constructifs. Notre rôle est d’accompagner le management, qui ne connaît pas forcément cet environnement du capital investissement, pour identifier les questions non abordées.
Sébastien Marchon : Le rôle d’Isabelle a été essentiel, et ce, dès le premier jour des négociations. Elle a une très forte expertise et expérience de ce type d’opérations et a pu me guider et me rassurer (!) durant tout le processus. Ce type de projet réclame un investissement quotidien et intense du CEO, pendant plusieurs mois. Il ne peut cependant pas abandonner la conduite du business. Il doit donc être accompagné par des experts sur l’opération de LBO et par des managers « leaders » dans la gestion day-to-day du business. C’est une période dense, mais excitante car l’entreprise est à un tournant de sa vie.
Quelle implication du management et des salariés dans l’opération ?
Sébastien Marchon : J’ai associé l’ensemble du comex à cette vente, de manière à m’assurer que l’on était tous alignés sur le futur de l’entreprise et pour pouvoir discuter en toute transparence avec l’acquéreur de nos attentes, de nos forces et de nos faiblesses. Le management a donc été très impliqué. Nous avons cependant volontairement épargné les salariés de Rydoo, qui devaient rester concentrés sur la conduite des dossiers au quotidien.
Quid des spécificités des management packages dans les LBO primaires ?
Isabelle Cheradame : Dans une opération de LBO, le management est clé. Le fonds doit le motiver mais aussi le responsabiliser à travers un package bien équilibré. Rappelons néanmoins que le management package requiert un investissement des managers. Or certains d’entre eux ont de faibles capacités financières pour investir, ce dont il faut discuter en toute transparence non seulement avec l’acquéreur mais aussi avec le vendeur. Le package doit être structuré de façon à ce que le risque inhérent à un investissement dans une opération de LBO soit en adéquation avec le potentiel de gain en cas de succès de l’opération. Il doit être en outre parfaitement calibré car le fonds aura, derrière, des attentes importantes de réalisation du business plan de la part de l’équipe de direction.
Les arrêts du Conseil d’État de cet été ont changé la donne en matière de management package. Les salariés des entreprises sous LBO doivent-ils s’en inquiéter ?
Isabelle Cheradame : Les managers s’inquiètent et c’est bien légitime car la position de principe du Conseil d’État est de qualifier des gains issus d’un investissement en salaire, considérant qu’il s’agit de la contrepartie des fonctions de salarié ou dirigeant, sans prendre en compte la juste valorisation des titres au moment de leur acquisition ou souscriptions. Ces décisions du Conseil d’État ont surpris toute la place. Au-delà de l’impact pour l’économie du private equity, elles risquent d’avoir de lourdes conséquences sur l’entrepreneuriat français au sens large (fondateurs de start-up, entreprises familiales…). J’ajoute que les entreprises sont également touchées, compte tenu des enjeux en matière de charges sociales. Nous espérons que tous les acteurs de l’économie feront preuve de pragmatisme pour dégager des lignes directrices permettant de clarifier ces décisions et réajuster les principes dégagés jusqu’alors.
Par Ondine Delaunay