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Fonds d’impact : l’irrésistible bienveillance

Ci-dessus, de gauche à droite : Alexandra Dupont, directrice associée, Raise et Julien Vandenbussche, avocat associé, DLA Piper.

Propos recueillis par Lucy Letellier

RSE, ISR, utilité sociale, bienveillance, intérêt collectif… Ces notions définissent le nouveau visage du private equity : investir dans des entreprises dont l’utilité sociale est avérée. Les fonds d’impact, porteurs de cette mission, sont ainsi les derniers nés de la famille du private equity. Entretien avec Alexandra Dupont, directrice associée, Raise et Julien Vandenbussche, avocat associé, DLA Piper.


Quelle est la définition d’un fonds d’impact et comment se différencie-t-il des fonds d’investissement classiques, de dotations… ?


Alexandra Dupont : Il s’agit là de trois typologies de structures très différentes. La stratégie d’un fonds d’impact est différente de celle d’un fonds d’investissement classique avec une démarche RSE. Le fonds de dotation quant à lui est une structure qui, par sa nature, participe déjà à l’intérêt collectif ou au bien commun et qui n’a pas vocation à générer un rendement financier.


Julien Vandenbussche : Le Global Impact Investing Network définit les investissements d’impact comme étant des investissements effectués dans des entreprises, des organisations ou des fonds avec l’intention de générer un rendement financier couplé à un impact sociétal et environnemental positif. Un fonds de dotation n’a quant à lui pas nécessairement vocation à générer un rendement financier car nous sommes avant tout dans l’univers de la philanthropie. Le fonds d’impact est, lui, un produit financier qui vise à être compétitif avec les fonds d’investissement classiques en termes de rendement. L’essence du fonds d’impact est justement de permettre à l’investisseur de ne pas avoir à arbitrer sur le rendement financier pour avoir ou non un impact positif sur l’environnement ou la société.


A. Dupont : Chez Raise, le fonds de dotation Raisesherpas finance et accompagne de manière personnalisée des start-up, poursuivant ainsi un but non lucratif avec pour mission de promouvoir la cause entrepreneuriale.


Quels sont les critères, les indices pour définir cet impact ?


A. Dupont : Nous travaillons sur la création d’un fonds d’impact et nous nous interrogeons donc actuellement sur sa définition, en nous appuyant notamment sur les 17 objectifs de développement durables classifiés et définis par l’ONU. Les sociétés visées à travers ce fonds adresseraient ainsi a minima un de ces objectifs.


J. Vandenbussche : D’un point de vue global, l’impact environnemental et sociétal positif est effectivement une notion assez subjective et débattue. L’ONU à travers ces UNPRI a ainsi proposé un dénominateur commun qui est le bienvenu. Les investisseurs et les sociétés de gestion, à l’aune de cette définition, vont ensuite définir ensemble les indicateurs de performances clés qui permettront de mesurer l’impact d’un fonds d’investissement. Une fois défini, il faut également suivre l’évolution de cet impact et le mesurer. Ces deux prérequis sont indispensables. Il existe différentes typologies de fonds d’impact, certains sont généralistes mais d’autres sont dédiés à un secteur en particulier avec un focus sur tel ou tel indicateur clé de performance : accès au logement, à la santé, à l’énergie. Autant de thématiques donc qui peuvent définir soit un même fonds généraliste soit des véhicules dédiés spécifiquement. Quant à la structuration du fonds en elle-même, elle ne diffère pas d’un fonds classique car nous sommes davantage sur des engagements contractuels. La structuration ou la juridiction du véhicule ne sont pas un frein à la mise en œuvre des stratégies d’impact.


A. Dupont : Un fonds d’impact a vocation à prendre une participation de la même façon qu’un fonds classique, avec un double objectif de performance financière et d’impact sociétal. La mesure de l’impact est donc capitale et il est indispensable d’avoir, entre le fonds et l’équipe dirigeante de la société, une définition conjointe des critères que l’on souhaite retenir et suivre. Par exemple le nombre d’emplois créés ou de logements construits, l’empreinte carbone… L’impact sera mesuré en fonction de l’évolution de ces ratios prédéfinis.


Dans quelle démarche plus globale s’inscrivent les fonds d’impact ?

A. Dupont : Les fonds d’impact s’inscrivent effectivement dans une démarche plus globale. Les démarches RSE sont aujourd’hui totalement incontournables. S’il y a 40 ans, l’écologie n’était réservée qu’à une poignée d’experts pointus, aujourd’hui, elle est l’apanage du plus grand nombre. Le cercle de la responsabilité s’est élargi à tous. Et les fonds d’investissement ont suivi car ils participent eux aussi à la mutation profonde du monde économique. Ce mouvement va d’ailleurs s’accélérer et la loi Pacte en est une des émanations à travers la redéfinition de l’objet social de l’entreprise qui n’est plus seulement centré sur l’intérêt de ses actionnaires mais dorénavant sur l’intérêt collectif. Le terme d’ailleurs de responsabilité sociale va bien au-delà du seul thème de l’environnement. Nous assistons à une véritable transformation de la société. À titre d’exemple, vous avez peut-être vu récemment des étudiants d’écoles et d’universités prestigieuses lancer un mouvement qui a déjà collecté 24 000 signatures et dont la volonté consiste à alerter les entreprises sur leur responsabilité sociétale. Leur discours : les entreprises doivent adopter une démarche sociétale au cœur de leur organisation et de leurs activités, celles qui refuseront deviendront moins attractives auprès des jeunes talents.


J. Vandenbussche : La responsabilité environnementale et sociétale est effectivement une tendance très lourde portée par l’ensemble de la société et donc aussi par la plupart des gouvernements. C’est un sujet avec une portée extraordinaire et notamment pour les fonds d’investissement qui ont un rôle fondamental à jouer car ils peuvent ainsi allier la compréhension de ces sujets de société à la concrétisation à travers la réalisation d’investissement et ainsi matérialiser cette préoccupation sociale.


L’impact est-il une tendance irrésistible ?


A. Dupont : Les fonds d’impact seront vraisemblablement de plus en plus nombreux et les fonds généralistes ne pourront plus ignorer dans leurs investissements l’intégration d’une démarche RSE.


J. Vandenbussche : Ce mouvement s’inscrit dans un cadre plus large que celui de la seule gestion de fonds. La conscience RSE est déjà introduite dans le droit positif par exemple en ce qui concerne les assureurs, la réglementation qui définit un reporting RSE. La tendance est si forte qu’il est proposé aujourd’hui de la retranscrire dans le droit des sociétés (loi Pacte). Demain, elle ne sera plus une nécessité mais une obligation.


Que manque-t-il aujourd’hui à la construction de cet écosystème de fonds d’impact ?


J. Vandenbussche : Aujourd’hui, un nombre très important de sociétés de gestion affichent leur adhésion aux principes RSE de l’ONU, les PRI. Ce qui manque, c’est une harmonisation des pratiques. Les acteurs les plus impliqués sur cette thématique ont construit des pratiques en silos et si elles tendent toutes vers un objectif commun, elles sont aujourd’hui dans des formes très différentes les unes des autres. Une harmonisation est souhaitable car elle apportera de la stabilité et de la lisibilité à cette tendance.


A. Dupont : Effectivement, si les objectifs sont communs, la forme est cependant importante. Les choses avancent toujours de manière un peu déstructurée au début. Il y a cependant clairement un enjeu autour de l’harmonisation, ne serait-ce qu’en matière de reporting aux LPs. En structurant davantage l’information et en communiquant de plus en plus auprès de la profession, nous espérons démocratiser les sujets RSE.

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