En février dernier, vous avez publié un manifeste intitulé « Les startups secouent les territoires ». Quel est l’intérêt de cette démarche ?
Marianne Tordeux : Nous avons souhaité saisir le moment offert par les élections municipales pour sensibiliser l’ensemble des candidats à la nécessité d’accroître la place des startups dans l’écosystème local. C’est une démarche que nous avions déjà adoptée lors des élections présidentielles puis européennes, et dont nous avons déjà pu mesurer l’intérêt. En effet, en livrant des propositions concrètes aux futurs élus – comme aux candidats malheureux du scrutin –, nous interpellons une population en lien direct avec l’espace territorial. Cette approche est essentielle pour inclure davantage les startups dans les processus de prise de décision de nos élus et des instances représentatives. Nous avons donc voulu établir une sorte de cahier des charges qui nous servira, régulièrement, à rappeler aux décideurs ce qu’il leur reste à accomplir en matière d’inclusion des startups dans le paysage économique dont ils ont la responsabilité.
Cette approche est-elle efficace ?
M. T. : Absolument. À titre d’exemple, nous en avons mesuré l’intérêt puisque, mi-mars, la Commission européenne a annoncé un programme PME-startups dans lequel on retrouve l’intégralité du programme que nous avons porté auprès des candidats à l’élection européenne, en 2019. Cela va dans le sens de l’Histoire puisque déjà, dans le rapport Tibi, dévoilé en juillet dernier, les mesures en faveur du financement des entreprises technologiques françaises étaient issues du Manifeste de 2017 adressé aux candidats aux présidentielles. Avec ce manifeste-ci, nous affichons l’intention de plaider pour une présence des startups à l’échelle locale – et ce d’autant qu’il sera possible de répéter l’opération lorsque suivront les élections régionales, en 2021, puis les sénatoriales et les départementales.
Comment avez-vous élaboré ce manifeste ?
M. T. : Nous avons mené un sondage auprès de nos 1 500 startups membres, afin de savoir comment elles peuvent gérer les démarches auprès des institutions locales. Il est ressorti de cette consultation un fait majeur : les appels d’offres lancés par les mairies ne sont pas du tout « startup-friendly », même si la question a évolué ces dernières années. À titre d’exemple, il est frappant de constater que le décret paru en décembre 2018, permettant aux établissements publics de se passer d’appels d’offres pour des montants allant jusqu’à 100 K€ en cas de projet « innovant », est encore trop peu connu ou mis en application. Pourtant, il s’agit d’une mesure idéale pour leur permettre de « tester » les collaborations avec les startups. C’est pourquoi le premier message que nous avons souhaité porter dans notre manifeste porte sur la nécessité d’inclure systématiquement les entreprises innovantes dans les appels d’offres, en desserrant les contraintes auxquelles elles font face – comme l’exigence de preuve de fonctionnement, en particulier.
Pour ce faire, nous insistons sur quatre points précis dont elles doivent bénéficier :
• 20 % des commandes publiques doivent être dirigées vers elles ;
• une clause dans les appels d’offres doit permettre de systématiser les collaborations grands groupes/startups ;
• la durée de concertation des appels d’offres doit être réduite à 2 mois, pour correspondre à leur mode de fonctionnement ;
• il doit y avoir un recours systématique aux contrats d’expérimentation et d’essai.
Nous avons bien conscience que le droit des marchés publics n’est pas encore adapté : nous appelons justement à sa modification. En proposant ces mesures, il ne s’agit pas de plaider la cause des startups, mais bien de prouver aux collectivités locales qu’elles auront ainsi accès à des compétences et des services qu’elles ne trouveront pas dans les grands groupes, grâce aux innovations qu’elles développent. En révolutionnant le droit de la concurrence et le code des marchés publics, cela servira, in fine, l’intérêt général.
Quels autres bénéfices en retireront les collectivités locales ?
M. T. : Il ressort de notre étude que les villes et métropoles ont beaucoup à gagner de l’ouverture de leurs données. En décloisonnant celles-ci, les instances locales offriront aux startups la possibilité de leur fournir des solutions innovantes – pour des problématiques sur lesquelles les grands groupes n’interviennent que très exceptionnellement. Des tests ont déjà été menés avec succès dans des villes françaises : à Bordeaux, cette approche a permis de créer des solutions de régulation des flux à destination des déchetteries, tandis qu’à Lyon, la régulation des flux de circulation en temps réel a été rendue possible. Et il est tout à fait possible d’imaginer qu’en procédant de la sorte, il leur sera également possible d’améliorer la gestion des personnels en crèche ou dans les écoles, par exemple. Bien sûr, cela présuppose d’établir des chartes d’utilisation des données, en veillant à les rendre anonymes et à s’engager à ne pas les exploiter de façon abusive… Mais il s’agit d’un sujet qui ouvre véritablement le champ des possibles pour les startups et créera de l’emploi.
La crise du Coronavirus peut-elle être un moment clé pour démarrer la collaboration entre les services publics et les startups ?
M.T. : Oui. Si un enseignement pouvait d’ores et déjà être tiré de cette crise, c’est que les pouvoirs publics ont compris qu’ils pouvaient compter sur les startups pour apporter des solutions à la gestion de la crise. À toutes les échelles – européennes, nationales, régionales, locales – France Digitale a été sollicitée pour faire le lien entre les besoins des services publics et les solutions que proposent les startups françaises : télétravail, télémédecine, garde d’enfant, services à domicile, livraison de denrées, etc. Les pouvoirs publics ont découvert l’agilité que permettent les startups, la rapidité dont elles peuvent faire preuve pour déployer et adapter de nouveaux outils. Des collaborations sont nées et vont se pérenniser.
Pour revenir au Manifeste, quels sont les autres axes d’amélioration dans la relation startup-collectivités ?
M. T. : Les startups sont en mesure d’apporter des solutions innovantes en matière de lutte contre la pollution ou encore de gestion des mobilités. Autant de thématiques qui, à n’en pas douter, aideront les municipalités à mettre en place des programmes innovants dans le cadre de la transition écologique. De même, celles-ci seront à même de soigner leur attractivité en s’appuyant sur des plateformes collaboratives déployées par les startups. L’enjeu est donc loin d’être négligeable pour les collectivités.
Avez-vous pu avoir un premier retour sur le contenu de ce manifeste ?
M. T. : Nous avons organisé six rencontres entre les startups et les candidats aux mairies de Bordeaux, Lille, Marseille, Montpellier, Lyon et Paris, pour interpeller les candidats sur la place des startups dans leurs programmes. Dans ces villes, les candidats présents au 2e tour ont tous répondu à l’appel. Et ils ont bien compris ce qu’étaient les startups, et leurs problématiques propres.
Et que se passera-t-il après les élections ?
M. T. : Nous renverrons le manifeste à l’ensemble des élus et nous établirons avec eux des canaux de communication one-to-one avec les startups dont nous pourrons nous faire le relais. Au-delà, nous profiterons de chacune des éditions du « France Digitale Tour » pour rappeler aux pouvoirs locaux tous les bienfaits qu’ils pourront retirer en tissant des relations avec les startups que nous leur présentons. La sensibilisation que nous avons faite ce printemps se prolongera ainsi dans le temps avec des résultats très positifs.
Propos recueillis par Charles Ansabère