Par Frédéric Mazzella, co-président de France Digitale
France Digitale est une association française qui réunit les entrepreneurs et investisseurs du numérique pour promouvoir l’économie numérique auprès des pouvoirs publics. Elle s’est donnée pour mission la création d’un écosystème numérique qui fasse émerger régulièrement des champions. Elle compte plus de 700 membres.
L’Europe est au cœur d’une phase essentielle de son développement. Les cinq années à venir détermineront son rôle dans l’économie mondiale et, par conséquent, sa capacité à se montrer attractive pour ses habitants, notamment quant à son potentiel pour offrir un environnement d’investissement dynamique et un marché du travail actif.
Nous avons une opportunité de devenir des leaders mondiaux en matière d’innovation, à condition de développer une vision claire de notre réussite et de faire preuve de persévérance dans ce que nous entreprenons. Pour la première fois dans l’histoire européenne, 30 organisations issues des 27 pays de l’UE se sont alliées pour mettre en commun leurs attentes et leurs aspirations : les 15 engagements pour une « United Tech of Europe ».
Offrir un environnement propice aux scale-ups. Au moment de décider où, quand et comment se développer au-delà de leurs marchés domestiques, les entrepreneurs européens sont confrontés à un dilemme : partir à la conquête de l’Asie ou de l’Amérique ou s’attaquer au marché du Vieux Continent. De plus en plus souvent, ils privilégient cette dernière solution, et pour une raison simple : en matière de taille, il s’agit du troisième marché de la planète, devant les États-Unis. Mais ils ont besoin des outils qui leur permettront d’évoluer favorablement sur le continent et de générer croissance, emplois et innovation. Nous plaidons donc en faveur d’un cadre unique pour les scale-ups qui n’entrave pas leur croissance : l’entreprise ne doit être imposée dans aucun pays de l’UE si elle n’y réalise pas de bénéfices. La Commission devra également mettre en place des incitations destinées aux Européens pour qu’ils aillent travailler dans d’autres États membres. Une première étape consisterait à permettre la portabilité des droits sociaux des travailleurs européens, notamment des retraites. La nouvelle Commission devra également tenir compte des nouvelles formes de travail dans sa politique sociale. Par ailleurs, pour récompenser les risques pris par les premiers salariés et attirer les talents, nous proposons un programme d’actionnariat unifié permettant aux start-ups et aux scale-ups d’émettre des options sur actions standardisées dans les 27 pays de l’Union européenne. Afin de ne pas nuire à l’agilité et de faciliter l’administration des affaires, ces actions n’impliqueront pas nécessairement de droit de vote. L’imposition ne sera pas calculée sur l’exercice des options mais sur la vente des actions. Elles devront être imposées en tant que plus-values à un taux fixe et favorable.
Attirer les talents en Europe. Un visa européen des start-ups devra être créé avec une procédure administrative simplifiée pour le recrutement. Ces entreprises pourront ainsi obtenir rapidement des permis de travail, dans les 27 pays de l’Union, pour leurs salariés et leurs parents proches. Ce visa sera valable plusieurs années. Il s’accompagnera d’un moratoire sur la taxation des actions (ou options) acquises dans des entreprises situées hors de l’UE et du Royaume-Uni.
Combler le fossé financier. Force est de constater que les marchés européens du VC et des capitaux restent en retrait par rapport à ceux des États-Unis et de la Chine. Les institutions financières de l’UE doivent avoir pour but de travailler à l’émergence de fonds paneuropéens basés sur le continent qui favoriseront les investissements transfrontaliers.
Un marché unique du capital-risque. La standardisation du régime fiscal du capital-risque au sein de l’Union est nécessaire. Elle passera par la transparence fiscale des structures de placement qui doit être garantie afin d’éviter une double taxation, mais aussi par l’interopérabilité des structures de placement. Dans ce cadre, le FEI jouera un rôle majeur dans la transformation de l’industrie européenne du VC.
Une Union européenne axée sur les données. Les régulateurs doivent reconnaître que la concurrence, à l’ère du numérique, est mondiale. Les technologies de l’information ont permis à des concurrents extérieurs à l’UE de pénétrer facilement sur notre marché et d’affronter ainsi directement les sociétés européennes. Il est nécessaire que les affaires liées à la concurrence soient évaluées à la lumière de ces éléments. En outre, la libre circulation des données doit figurer dans les futurs accords commerciaux et les signataires doivent convenir des mêmes contraintes réglementaires concernant l’accès aux données et leur circulation.
Les open data, ou données ouvertes, jouent un rôle important dans la numérisation de l’Union européenne. En plus d’encourager la transparence pour nos citoyens, elles constituent un formidable niveleur économique pour les entrepreneurs lorsque le type et la qualité des données répondent aux exigences de l’industrie. Mais des normes claires en matière de données et de métadonnées doivent être élaborées pour tous les secteurs de l’économie. Il devra s’agir d’un format documenté, standardisé et lisible à la machine qui qualifiera les données de personnelles, commerciales ou à valeur élevée. L’UE devrait soutenir la mise en place d’une organisation chapeautée par l’industrie, qui ressemblerait au W3C, afin de travailler sur ces normes.
Des réformes institutionnelles. Afin que le marché unique européen ne soit pas orienté uniquement en faveur des sociétés du web de plus grande taille et mieux établies, nous recommandons la création d’un intergroupe sur les start-ups et les scale-ups au sein du Parlement européen. Il servira de forum de discussion sur les défis liés à l’emploi et à la croissance, au marché unique, à l’accès à la finance, au capital-risque, aux compétences et à l’éducation.
Dans une optique de compétitivité au cours de la décennie numérique à venir, la Commission européenne doit s’assurer que ses commissaires adoptent une stratégie numérique cohérente et spécifique. Cela doit concerner toutes les administrations, et pas simplement une poignée d’entre elles. Nous proposons que chaque candidat à la Commission présente un ensemble d’objectifs numériques ainsi que les ressources qu’il investira pour leur concrétisation au cours de son mandat.
Pour assurer l’avenir de la réglementation, l’Europe a besoin d’un cadre réglementaire clair et simple en matière de responsabilité en ligne. Nous appelons donc à une approche européenne des plateformes et à la proposition d’un plan coordonné pour la responsabilité de celles-ci. Nous pensons aussi que les législateurs devraient « tester » l’impact de chaque loi sur les services et entreprises d’IA et prendre en compte l’effet de la mesure sur l’utilisation et/ou la production de données, ainsi que la facilité d’automatisation des nouvelles obligations en matière de conformité et de réglementation. Enfin, le développement des technologies de la blockchain doit être appréhendé dans une perspective plus large, en particulier à travers une conversation ouverte sur la puissance de calcul. Au vu de ces éléments, si une loi s’avérait nécessaire, elle devrait être évaluée par rapport à la capacité d’une start-up à affronter une entreprise en place.