Magazine

Risques psycho-sociaux : mieux vaut prévenir que guérir

Par Ondie Delaunay


Entretien croisé entre Christelle Rogé, directrice des ressources humaines France pour le groupe TechnipFMC et Philippe Danesi, avocat associé du cabinet DLA Piper.


La prévention des risques psycho-sociaux constitue un enjeu majeur pour la performance et les résultats de l’entreprise. Au-delà d’une gestion quotidienne indispensable, la direction de l’entreprise doit particulièrement y être attentive notamment durant certaines étapes clés : fusion, acquisition, carve-out ou mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Elle devra alors reconstruire des repères et prévoir des modes d’organisation favorables à la préservation de la santé physique et mentale de ses salariés.


En quoi le climat social a-t-il un impact sur les enjeux business de l’entreprise ?


Christelle Rogé : L’organisation sociale est au cœur du développement de l’entreprise. Tant que la stratégie du groupe n’est pas définie et communiquée, il est difficile de fédérer les équipes et cela peut engendrer un certain mal-être social. C’est particulièrement le cas lorsque des changements sont prévus, comme une fusion ou un PSE. Si les salariés n’ont pas été mis en mesure d’anticiper ce changement, ils risquent d’avoir une première réaction d’opposition. Au contraire, s’ils sont sensibilisés dès le départ et comprennent les motivations réelles de l’entreprise, la mise en œuvre des stratégies se déroule bien mieux. Le bien-être des salariés est, en tant que tel, créateur de richesse pour l’entreprise puisque celui qui est bien dans son emploi est plus impliqué et plus performant. L’entreprise doit donner aux salariés du sens à leur travail. Les « anciennes » générations sont surtout préoccupées par les perspectives offertes par leur mission. Les « nouvelles » générations, elles, cherchent plus à comprendre quel est le rôle de leur entreprise dans la société. Aujourd’hui, dans le secteur de l’oil & gaz par exemple, il faut travailler tous les éléments de RSE et communiquer sur le rôle sociétal de l’entreprise. C’est une recherche de sens globale.


Philippe Danesi : Aujourd’hui, il est certain qu’un rôle sociétal est donné à l’entreprise qui doit promouvoir des « valeurs » via des mesures concrètes par exemple en matière d’égalité entre hommes et femmes, de salaires justes et égaux, de durée du travail raisonnable permettant une déconnexion et donc un équilibre vie professionnelle/vie personnelle. En un mot, elle serait devenue garante du bien-être de ses salariés. Tous ces objectifs ambitieux peuvent être atteints par le dialogue social constructif avec les organisations syndicales et les instances représentatives. Notons d’ailleurs que les réformes récentes leur ont conféré davantage de légitimité interne puisque leur représentativité est issue des urnes. Techniquement en renforçant l’effectivité de la représentativité des syndicats, le législateur a donné plus de poids à l’accord majoritaire qu’ils signent et, partant, à la négociation. Cette dernière et le dialogue au plus près du terrain sont singulièrement au cœur de la démarche de prévention des risques psycho-sociaux.


Cette prévention à la charge de l’entreprise constitue-t-elle un changement de paradigme ?


Philippe Danesi : Le changement de paradigme passe surtout par la responsabilité qui pèse sur l’entreprise en matière de sécurité des salariés, de risques psycho-sociaux. Pendant longtemps, l’entreprise devait faire face à une obligation de sécurité de résultat, perçue comme trop radicale et injuste puisqu’in fine elle était condamnée en cas d’incident peu importe les actions mises en œuvre. Dès lors l’entreprise n’était paradoxalement pas incitée à consacrer du temps, des moyens financiers et humains à une cause perdue d’avance, ceci au détriment des salariés. Fort heureusement, la jurisprudence a évolué depuis le fameux arrêt Air France de 2015, en consacrant une obligation plus pragmatique et incitative que l’on peut qualifier d’obligation renforcée de moyens et même d’obligation de prévention. Plus juste, elle n’en demeure pas moins très exigeante puisque l’entreprise doit tout mettre en œuvre pour prévenir les risques de façon aussi poussée que possible ce qui nécessite la mobilisation de compétences pointues et un travail de terrain main dans la main avec le CSE qui a récupéré les compétences du CHSCT. Le médecin du travail est bien entendu un interlocuteur privilégié en la matière, outre le support de divers « organismes publics ».


Christelle Rogé : Cette évolution jurisprudentielle a renforcé les habitudes du point de vue des négociations avec les organisations syndicales qui ont toujours été au cœur de la conduite sociale de l’entreprise. N’oublions pas que les objectifs stratégiques de l’entreprise doivent aussi être relayés auprès des managers qui doivent prendre conscience de leur impact au niveau social. Plus les salariés sont impliqués, plus l’entreprise met les chances de son côté pour atteindre le but fixé. Il est indispensable de discuter, comprendre, trouver des terrains d’entente et fédérer.


L’objectif est avant tout d’éviter le contentieux ?


Philippe Danesi : Le contentieux est simplement un constat d’échec, l’objectif est la mise en place concertée de mesures de prévention dans l’intérêt de tous. L’échec de la négociation peut amener telle ou telle partie, éventuellement dans la posture, à saisir le juge pour obtenir de façon contraignante telle ou telle mesure en matière de RPS. Toutefois, je suis persuadé qu’il ne s’agit pas là du bon forum pour ces sujets, une décision de justice restant ponctuelle à supposer même qu’elle puisse satisfaire l’une ou l’autre des parties. La démarche doit ici être autre et, avant tout, s’inscrire dans la durée et privilégier la négociation au plus près des spécificités de l’entreprise


Quels sont les outils à mettre en place pour limiter les risques psycho-sociaux ?


Philippe Danesi : C’est toute une dynamique qui doit être mise en œuvre pour limiter autant que possible les risques psycho-sociaux. Ceci passe bien entendu par l’évaluation précise des risques via le document unique qui doit être régulièrement mis à jour sous la responsabilité de l’employeur, donnant lieu, en miroir, à un plan d’action après consultation du CSE. Ce travail peut parfois justifier l’intervention d’experts tels des préventeurs et des ergonomes. Des mesures de prévention primaires visant à éviter que le risque se réalise peuvent prendre la forme d’accords collectifs sur de multiples thèmes, tel celui d’une durée de travail raisonnable pour les forfaits jours notamment en veillant à la mise en œuvre de bonnes pratiques et à l’effectivité du droit à déconnexion, ou encore en matière de harcèlement. Des mesures de prévention secondaires et tertiaires peuvent également être mise en œuvre quand un incident est intervenu afin d’en limiter les effets et d’accompagner le salarié le subissant.


Christelle Rogé : L’entreprise a à sa disposition une palette d’outils de prévention et de détection des risques psycho-sociaux. Elle peut mettre en place des cellules d’écoute avec des hotline, ou prévoir la présence d’un psychologue dans ses locaux. Certains groupes insufflent en interne l’idée de veiller sur son voisin et créent un devoir d’alerte pour remonter les informations sur les risques psycho-sociaux, les harcèlements physiques ou moraux, etc. L’entreprise peut également, avec l’aide de cabinets extérieurs, réaliser des enquêtes sur le bien-être et la qualité de vie au travail (BQVT) pour avoir une évaluation du climat ressenti par les salariés. Des analyses particulières sur des secteurs en mal être sont également envisageables pour réduire les tensions. Il ne faut pas négliger le travail avec la médecine du travail et l’infirmerie qui sont généralement chargées d’avoir le premier retour des salariés en souffrance. Rappelons également le travail qui peut être mené conjointement avec les business partners qui sont, du côté RH, les interlocuteurs privilégiés tant des managers que des salariés. Toutes ces mesures doivent être renforcées lorsqu’un événement inattendu survient ou qui perturbe le quotidien. Je pense par exemple à la suite des récents attentats, ou lors de la mise en place d’un PSE. Nous avons également fait venir des ergonomes chargés de vérifier les aménagements de bureaux ou d’usines. Le salarié qui travaille au quotidien dans un environnement inadapté à sa morphologie peut avoir l’impression de lutter et donc être démotivé, voire frustré. C’est susceptible de générer des problématiques industrielles, de lien social et de risque physique.

Interview croisée

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié