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Groupe Alpha, une transmission menée collectivement pour rester indépendant

Cabinet de conseil, d’expertise et d’audit auprès des entreprises et des acteurs publics, le Groupe Alpha a été fondé en 1983 par Pierre Ferracci. Il intervient de l’expertise à l’analyse financière, de l’audit au conseil RH, des transformations d’entreprises à l’accompagnement des mobilités ou au management des singularités. Il est engagé depuis quelques mois dans un processus de transmission qui devrait aboutir en 2024. Entretien croisé avec Pierre Ferracci, président, et Estelle Sauvat, directrice générale.


Le Groupe Alpha fêtera bientôt ses 40 ans. Quelles ont été les principales étapes de sa construction ?


Pierre Ferracci : En 1982, j’ai rejoint un cabinet d’expertise-comptable qui travaillait pour le compte de comités d’entreprise. C’était l’année des lois Auroux qui ont profondément remanié le champ des relations sociales et ont largement élargi les missions des experts-comptables des comités d’entreprise. Le dirigeant cherchait à transmettre son cabinet. Je suis donc resté, persuadé qu’il fallait doter les représentants du personnel de compétences au moins équivalentes à celles dont bénéficiaient les directions d’entreprises et ce, pour assurer la qualité du dialogue social. J’ai tout de suite souhaité développer une structure pluridisciplinaire, en cherchant, au-delà de profils comptables et financiers, des compétences en matière d’organisation, de transformation des entreprises et, plus tard, de santé au travail. Le groupe s’est imposé assez vite vis-à-vis de ses concurrents, à la fois parce qu’il avait un regard plus constructif, mais aussi parce qu’il avait choisi de s’intéresser aux enjeux humains et organisationnels des restructurations d’entreprises.


Le début des années 2000 a été l’occasion pour moi de repenser les valeurs du groupe. En conseillant uniquement les représentants du personnel, certains terrains nous étaient inaccessibles par la loi, notamment l’accompagnement des salariés qui ont vécu un plan de restructuration. Pour assurer la continuité de notre mission et ne pas nous arrêter aux portes de l’entreprise, nous avons alors pris la décision, courageuse et atypique, d’aborder ces sujets en adressant également la direction de l’entreprise. Notre mission est d’abord d’accompagner les salariés dans leur retour à l’emploi. Que le client soit le comité d’entreprise, ou le dirigeant, importe finalement assez peu.


Nous avons mené quelques opérations de croissance. Nous avons d’abord repris une filiale de la Caisse des dépôts qui travaillait pour les dirigeants de structures publiques (SEM ou Offices HLM), puis Sodie, structure de reclassement et de revitalisation d’Usinor, aujourd’hui Arcelor. Aujourd’hui, le Groupe Alpha se démarque, à la fois par la variété de ses compétences, mais d’abord et surtout parce qu’il a fait le choix de travailler avec toutes les parties prenantes.


Estelle Sauvat, quels sont les principaux moteurs qui vous ont décidée à rejoindre le groupe en avril 2020 ?


Estelle Sauvat : Ma première rencontre avec le Groupe Alpha remonte à 2005, alors que je dirigeais USG Restart, activité spécialisée dans l’accompagnement des salariés en reconversion professionnelle. J’ai, à cette occasion, pu observer les missions et interventions du Groupe Alpha sur le terrain des restructurations sociales, souvent complexes. Son approche sociale m’a semblé originale et pertinente, cherchant déjà à réconcilier les enjeux économiques et sociaux pour préserver la pérennité des entreprises et l’emploi des salariés. Par la suite, j’ai dirigé pendant une dizaine d’années la filiale du Groupe Alpha, Sodie, qui accompagne les transitions professionnelles. J’ai été également membre du Comex au cours de cette période, avec une implication forte dans toutes les activités. Je connais donc très bien le Groupe Alpha.


En 2017, j’ai fait une incursion dans le monde politique, convaincue qu’il fallait aller plus loin pour renforcer la formation professionnelle et l’emploi en France, notamment à travers la construction et monétisation d’un compte personnel de formation, plus efficace et accessible, et d’un investissement massif dans les compétences, tel que nous l’avions porté, début 2017, avec Bertrand Martinot dans un rapport de l’Institut Montaigne, un « Capital Emploi Formation », ensuite inscrit dans le programme d’Emmanuel Macron. J’ai été nommée Haut-commissaire à la transformation des compétences et ainsi contribué à la mise en place de ce projet (PIC), doté de 15 Mds€, et du CPF monétisé. J’ai ensuite œuvré à proposer les premiers prêts garantis par l’État sur le volet compétences, à travers les instruments financiers européens (Rapport Igas).


À la fin de l’année 2018, Pierre m’a proposé de marcher dans ses pas, mais je crois que nous avions besoin, tous deux, de mûrir la façon dont la transmission d’entreprise pouvait se construire. Je me suis investie au cours de cette période sur des projets d’investissements d’entreprises. J’ai également rejoint Dirigeants & Investisseurs pour intervenir sur des problématiques sociales liées au restructuring d’entreprises en difficultés.


En avril 2020, mon principal moteur pour revenir au sein du Groupe Alpha est lié à la nature des missions du groupe, dont les compromis recherchés sont éclairés, équilibrés et résolument exigeants. C’est un groupe que j’aime profondément pour sa singularité et son authenticité ainsi que pour la richesse des compétences, diverses et expertes. C’est enfin le projet entrepreneurial qui m’a convaincue, avec Pierre Ferracci. Je connais trop d’histoires d’entreprises dans lesquelles le fondateur cherche le successeur sans vraiment le vouloir.


Quelles sont les motivations d’une telle anticipation ?


P.F. : J’ai toujours pensé que le bilan d’un fondateur d’entreprise se jauge à l’aune de la réussite de sa succession. Une transmission qui échoue, c’est finalement un bilan qui s’efface. J’ai demandé à Estelle de revenir, pensant que sa démarche entrepreneuriale correspondait à ce qui était nécessaire pour le futur du Groupe Alpha. J’ai ensuite conçu une structure capitalistique permettant de faire monter des associés autour d’elle. Depuis l’origine, j’ai le contrôle majoritaire du groupe. Mais j’ai très vite manifesté ma volonté d’y associer ses principaux acteurs. Aujourd’hui, ce sont quelque 60 associés qui détiennent environ 37 % du capital du groupe. Et les salariés en ont environ 10 %. Il y a deux ans, un premier fonds d’investissement est entré au capital. Demain, il y en aura sans doute un second. J’apporterai, d’ici 2024, une partie de mes actions à une Fondation qui facilitera la transition. J’aimerais que le groupe s’entoure de partenaires qui sont convaincus qu’une entreprise se constitue d’hommes et de femmes, d’objectifs financiers et économiques, mais aussi d’objectifs sociaux et environnementaux qui doivent se mailler intelligemment. Nous sommes d’ailleurs en train de définir la raison d’être de notre groupe dont les piliers ont été bâtis il y a plus de 20 ans : travailler avec l’ensemble des parties prenantes pour faire en sorte qu’elles dialoguent davantage, pour trouver des compromis équilibrés.


Comment avez-vous construit la feuille de route du Groupe Alpha jusqu’en 2024 ?


E.S. : Mes échanges avec Pierre ont été déterminants pour construire cette feuille de route. On a profité de la première période de confinement pour gérer la crise et affiner ensemble notre vision commune du groupe, et la trajectoire que nous entendions dessiner pour les prochaines décennies. Vouloir scinder les fonctions de présidence et de direction opérationnelle suppose que les deux personnes parlent d’une seule voix, en s’étant entendues sur tous les sujets essentiels. Si l’on n’est pas d’accord sur la cible, on a toutes les bonnes raisons de ne jamais y parvenir.


Au cours de cette première période de confinement, j’en ai également profité pour échanger avec une centaine de salariés, une bonne façon de prendre le pouls, en amont d’un tour de France avec les 900 consultants du groupe. Accompagnée d’une équipe de préfiguration de 14 personnes, nous avons conçu notre feuille de route et élaboré notre plan stratégique Alpha 2024. Nous avons aussi lancé des « Remue-méninges », en pleine période de Covid, pour partager et challenger avec les salariés nos intentions de transformation, ce qui a fortement contribué à l’implication de nos équipes dans les projets ambitieux que nous engageons.


Autour de 10 chantiers opérationnels conduits sur 4 ans, nous poursuivons la transformation du groupe, en développant notre croissance sur le champ du conseil notamment. La stabilité économique du groupe, autour de 130 M€ de chiffre d'affaires, nous donne les moyens d’engager des projets ambitieux de développement et d’investissements pour l’avenir, tout en posant sereinement les modalités de montée au capital des dirigeants et managers associés ainsi que le renforcement de l’investissement des salariés. La nouvelle gouvernance du groupe s’est installée à mes côtés depuis le mois d’octobre dernier, avec la recomposition d’un Comex autour de dirigeants d’entreprises en charge de la diversité de nos structures Secafi et Sémaphores. Et parce que la transmission d’un groupe aussi singulier que le Groupe Alpha, c’est d’abord une transmission des savoirs et de son histoire. C’est donc autour d’un passage de témoin, progressif, que nous entendons réussir sereinement cette transmission collective. Particulièrement bien engagés, les nombreux projets de transformation en cours témoignent de cette dynamique et portent déjà leurs fruits, malgré une période si singulière. Demain, il s’agira pour cette nouvelle gouvernance, de construire ses nouveaux relais et d’affirmer son indépendance, en recherchant de nouveaux partenaires financiers, une étape que nous construirons à partir de 2022.


Par Ondine Delaunay

Interview croisée

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