Par Didier Bruere-Dawson, Partner, Brown Rudnick LLP, et Margaux Durand-Poincloux, Associées, cabinet ABPA.
Si les Etats ont organisé le soutien aux économies pendant cette période, et sauf à accepter une dépression, une reprise progressive doit être envisagée. Elle doit être modélisée par toutes les entreprises pour que les besoins en fonds de roulement et investissements soient financés.
Or, ce qui est unique, le risque dont les modèles industriels et de distribution doivent tenir compte, ainsi que leurs corollaires financiers, est encore présent pour 12 à 18 mois, alors qu’il n’est pour l’essentiel pas assurable.
Se pose donc pour les entreprises et les investisseurs la question de la viabilité des modèles, alors qu’il faut rétablir la confiance nécessaire pour faire revenir les salariés et relancer la production et la distribution, rassurer les consommateurs et donc la demande pour qu’ils reviennent dans les commerces, hôtels, restaurants, avions etc.
En France, dès l’annonce de l’état d’urgence sanitaire, certains ont évoqué le risque pénal lié à une mise en danger délibérée de la vie d’autrui, voire à des violations des obligations de sécurité justifiant le droit de retrait des salariés.
L’obligation de sécurité est évidente, même si en l’état on ne parle que des personnels du secteur sanitaire pour le bénéfice de la présomption de maladie professionnelle en cas de Covid-19. La mise en danger semble pour autant difficile à mettre en œuvre.
Surtout, d’autres risques doivent être appréhendés pour bâtir et modéliser les conditions d’une reprise viable de la production et de l’échange.
D’abord, il y a la question du dialogue social dans l’entreprise pour définir les nouveaux modèles de production et distribution.
Le 14 avril dernier, le juge des référés de Nanterre a, à ce titre, rendu une décision confirmée le 24 avril par la Cour d’Appel de Versailles contre Amazon France, lui ordonnant de mettre en œuvre « en y associant les représentants du personnel, une évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 ».
La leçon qu’on en tire est que même en situation d’urgence, les représentants des salariés doivent être associés à l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité. A cet égard, le Comité social et économique (CSE) est informé et consulté en amont du processus décisionnel et sur les modifications importantes de l’organisation du travail. Or, la pandémie actuelle influe évidemment sur cette « organisation ».
Il est reproché à Amazon non pas d’avoir vendu des biens non essentiels en période de pandémie ou encore de ne pas avoir mis en place des mesures de sécurité comme annoncé ici ou là, mais d’avoir informé a posteriori les CSE des modifications de l’organisation du travail, après une évaluation des risques jugée incomplète.
Les entreprises doivent reprendre l’activité dans la concertation, pour gagner la confiance de leurs salariés et ainsi modéliser la capacité de production et de distribution, d’autant que le 1 avril 2020 le gouvernement a autorisé le recours à la vidéoconférence ou à la conférence téléphonique, mais également à la messagerie instantanée pour l’ensemble des réunions avec les représentants du personnel.
Cette possibilité doit donc être systématiquement privilégiée pour éviter tout risque de caractérisation du délit d’entrave, tout autant que pour limiter la responsabilité pénale des dirigeants et entreprises pour violation des obligations de sécurité, mais aussi pour encadrer le droit de retrait des salariés.
De même, et parce que le tâtonnement sera, dans un premier temps, général, les évaluations des risques et les procédures nouvelles qui modifieront les modèles de production et de distribution pourront être soumises volontairement par les entreprises à l’Inspection du Travail.
Il faut donc profiter du confinement pour avancer sur ce terrain, comme pour toutes les relations avec l’ensemble des partenaires de l’entreprise.
Une fois l’offre relancée et viabilisée selon de nouveaux modèles, il faut évidemment aussi sécuriser la demande en créant, là encore, de la confiance pour établir les business plan nécessaires aux financements des activités.
À cet égard, la sécurité sanitaire sera très certainement une qualité essentielle des services fournis par les établissements recevant ou pas du public, dans la mesure où la confiance des consommateurs ne pourra être regagnée qu’avec l’assurance qu’ils sont en sécurité dans les lieux d’échange.
Des entreprises et secteurs d’activité ont à cet égard devancé la reprise ainsi que les guides gouvernementaux, anticipant la place prépondérante de la sécurité en un environnement sanitaire instable en innovant sur le terrain de la certification.
Ainsi, le groupe hôtelier Accor et le Bureau Veritas créent, en ce moment même, un label certifiant que le niveau de sécurité et les mesures d’hygiène sont adaptés à la reprise de l’activité. La chaîne B&B a créé un référentiel de certification sur l’hygiène, la santé et protocoles de contamination liée au covid-19. Lille Métropole annonce la création d’un « protocole » pour les magasins qui souhaiteront réouvrir. Les aéroports et les compagnies aériennes réfléchissent à des modèles de sécurité qui, d’ailleurs, bouleverseront de façon durable tout l’écosystème aéronautique.
Mais attention, car ces engagements pris, s’ils ne sont pas respectés, sont qualifiables pénalement de pratiques commerciales trompeuses. En effet, ce délit permet la répression des allégations fausses ou de nature à induire en erreur, portant sur des caractéristiques essentielles du produit. Aussi, ces bonnes volontés affichées pourraient, au final, amener à une rupture du contrat de confiance ainsi créé.
Le code de la consommation précise que le montant de l'amende initiale de 1 500 000 euros peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits, ou à 50 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant ce délit.
Ce risque est donc à prendre en considération avec le plus grand sérieux ; d’autant que Samsung France, le 17 avril 2019, a été mise en examen sur un terrain proche. Le motif retenu était le non-respect d’engagements éthiques vantés par le groupe auquel la filiale française appartient, au sujet des conditions de travail de ses salariés à l’étranger.
Comment interpréter cette affaire à la lumière de la crise sanitaire ? Les entreprises qui ont fait de leurs engagements éthiques ou de sécurité en hygiène un argument marketing et de résultat, tout en exposant leurs employés ou clients à un risque de fait non maitrisable de contamination au covid-19, pourraient être sanctionnées sur ce fondement.
La présentation faite au public des mesures prises pour préserver la santé des consommateurs devra donc épouser un principe de prudence et, comme pour les processus en droit du travail, celles-ci devront être formalisées.
Car et par delà la sanction pénale, la perte de confiance du consommateur du fait d’une défaillance en matière d’hygiène et de sécurité, conduira à un retrait qui pourrait affecter tout le secteur concerné, qu’il s’agisse de restauration, d’hôtelerie ou de transport.
Donc, que cela soit avec les consommateurs s’agissant de la demande, ou avec les partenaires sociaux pour la création d’offre, le succès de la reprise se fera avec de nécessaires tâtonnements, mais inconstestablement dans le dialogue et avec une certaine transparence.